Une histoire d’amour intense, mais éphémère

Évoquer le Manic, défunt club de la North American Soccer League (NASL), c’est se rappeler son fameux maillot aux bandes diagonales bleu et rouge. C’est aussi se remémorer des noms – Gordon Hill ou Tony Towers – qui ont illuminé les soirées au Stade olympique au début des années 80. Le Manic est surtout l’histoire d’une passion intense, mais éphémère, qui n’a duré que trois ans.

LES RAPPROCHEMENTS

Pour la brasserie Molson, l’idée de posséder une concession de la NASL part d’un constat tout simple. L’entreprise, propriétaire du Canadien, ne veut plus laisser le champ libre à ses concurrents – O’Keefe et Labatt – lors des mois d’été. « Dans ce temps-là, la saison de hockey s’étendait du mois d’octobre au mois de mai. Le baseball, l’été, et le football, à l’automne, étaient commandités par nos concurrents, glisse le directeur général du Manic, Roger Samson. On n’avait pas de véhicule promotionnel l’été, qui est la haute période de consommation. Il fallait être présent dans l’esprit du consommateur durant cette période. » 

En novembre 1980, Molson annonce avoir fait l’acquisition de la franchise du Fury de Philadelphie, dont les échecs sportifs s’accompagnent d’assistances anémiques et de soucis financiers. Le Manic récupère 10 joueurs, ainsi que le célèbre entraîneur Eddie Firmani, qui ajoute immédiatement une couche de crédibilité. « Le soccer n’était pas très populaire, ce n’était pas un sport naturel pour les Montréalais et les Québécois, souligne Samson. Après l’annonce, on a fait une campagne publicitaire assez imposante pour attirer l’attention et, à partir de là, l’enthousiasme est arrivé. La réaction a été extrêmement positive dès le départ. »

1981, LE COUP DE FOUDRE

Lors du tout premier match à domicile du Manic, le 18 avril 1981, cela fait presque huit ans que le public n’a pas encouragé une équipe professionnelle, soit l’Olympique de Montréal (NASL). Pour l’occasion, 27 060 spectateurs se déplacent pour assister à une victoire de 2-1 aux dépens du Blizzard de Toronto. « Il y avait un manque et un besoin de ce côté-là, confirme Francis Millien à propos de l’engouement populaire. Surtout que les joueurs qui sont arrivés étaient assez spectaculaires et pouvaient attirer l’intérêt des gens. » 

Grâce aux Hill, Towers, Thompson Usiyan ou Alan Willey, les foules grossissent au fil de l’été. Ils sont 38 000 partisans lors de la première visite du Cosmos de New York et plus de 50 000 lors du dernier match de la saison, contre les Diplomats de Washington. « Le Manic a aussi bénéficié d’une conjoncture particulière avec la grève du baseball majeur [entre juin et août 1981], ajoute celui qui couvrait le Manic pour la presse écrite et les médias électroniques. Les gens qui aimaient voir des matchs au Stade olympique se sont dits : “Il y a 30 000 personnes qui vont voir le Manic, pourquoi pas moi ?” » Cette réflexion culmine, en séries, lorsqu’un quart de finale contre le Sting de Chicago attire 58 542 fidèles.

1982, LA PASSION

La saison 1982 est celle de la confirmation, mais elle démarre par le départ de Hill, rebuté par le système d’imposition et par la difficile adaptation de sa famille. Sur le terrain, le Manic se qualifie une nouvelle fois pour les séries, même si le défi est simplifié en raison de la disparition de plusieurs équipes. Dans les gradins, les foules se stabilisent avec une moyenne de 21 348 spectateurs par match. Seul le mythique Cosmos fait mieux sur ce plan. « Bon public, grande ambiance au Stade », résume le milieu de terrain Carmine Marcantonio, qui est aujourd’hui courtier d’assurances à Toronto. La foule était électrique, bruyante et particulièrement impliquée. Pendant deux étés, nous étions les nouveaux venus sur la scène montréalaise. Après le Canadien, nous étions extrêmement populaires. »

Il reste que si le Manic est en très bonne santé, la NASL, elle, toussote de plus en plus. « Quand on a acheté la franchise, il y avait 24 équipes. Le temps que l’on joue notre premier match, il en restait seulement 21, illustre Samson. La deuxième saison, on n’était plus que 14. L’avenir n’était pas rose. On n’avait pas de doutes sur la viabilité de l’équipe, mais sur celle de la ligue, oui. »

Les points d’interrogation ne manquent pas. Par rapport à certaines entreprises – Molson, les thés Lipton ou Warner communications –, plusieurs propriétaires n’ont pas les ressources suffisantes pour soutenir les pertes. Les grands propriétaires se rencontrent en prônant un écrémage et en voulant se concentrer sur les gros marchés. Peine perdue. Finalement, pour Samson, la NASL met trop l’accent sur les vedettes étrangères, notamment britanniques, plutôt que sur les joueurs locaux.

1983, LA REMISE EN QUESTION ET LA SÉPARATION

Le 7 février 1983, le Manic et l’Association canadienne de soccer indiquent vouloir marcher dans les pas du « Team America », à Washington. L’idée ? En prévision de la Coupe du monde 1986 – et parce que Molson cherche un plan B en cas de disparition de la ligue –, les parties concernées veulent transformer le Manic en une équipe composée des meilleurs joueurs canadiens. Le projet ne voit finalement jamais le jour, même si la Ligue est d’accord. « Ç’a été mal reçu parce que l’information a coulé dans les médias, explique Samson. Sans dévoiler l’objectif aux autres équipes, je travaillais en sourdine pour rapatrier les joueurs. Puis, l’information est sortie tout croche. »

Cette perspective canadienne, ajoute Millien, signifie le départ des vedettes – Towers, Dragan Vujovic, etc. – auxquelles le public était fortement attaché. Ce facteur, combiné aux problèmes de la ligue, divise par trois les assistances. « Molson a choisi de prendre cette nouvelle direction et, soudainement, la culture et l’identité du Manic ont disparu, regrette Marcantonio. Les deux années précédentes, le Manic a injecté un nouveau souffle à la NASL. Mais, en 1983, c’était le début de la fin pour le club et la NASL dans son ensemble. »

En septembre, le successeur de Samson, Jacques Burelle, énonce trois avenues pour la prochaine année : une équipe canadienne, le statu quo ou la disparition pure et simple. Parce que les pertes s’élèveraient à 10 millions, que le projet d’Équipe Canada n’est pas soutenu publiquement et que la NASL dépérit à vue d’œil, Molson retient finalement la dernière option, en novembre. Le rideau tombe sur le Manic.

L’HÉRITAGE

Trente-deux ans après le dernier match, joueurs, dirigeants, observateurs et partisans gardent une tendresse particulière pour cette parenthèse. Il reste cependant le sentiment d’une belle histoire qui, même si elle laisse un goût d’inachevé, pose les jalons pour la suite.

« L’héritage du Manic ne disparaîtra jamais, croit Marcantonio. La ville nous a traités tel un nouveau-né qui a besoin d’être nourri et aimé tendrement afin d’apprendre à marcher et devenir un petit garçon costaud. Ce garçon est maintenant devenu un adulte. Cet orphelin a été adopté et élevé avec les bons soins de la famille Saputo. Joey Saputo lui a donné une nouvelle identité en le renommant l’Impact. »

Pendant très longtemps, Samson recevait le même commentaire quand des partisans du Manic le reconnaissaient au restaurant ou dans la rue : « C’est donc dommage. » Aujourd’hui, il est content de voir que le portrait a évolué favorablement à Montréal. « La famille Saputo a fait un excellent travail et, maintenant, on peut dire que le soccer est établi pour de bon à Montréal. Est-ce parce que le Manic était là auparavant ? J’aimerais le souhaiter. Ç’a eu un impact important, puisqu’on en parle encore aujourd’hui. »

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